Le Manuscrit « Villeneuve », recueil des plus belles pièces de viole de Marin Marais, a été acheté par la Société Française de Viole de Gambe , lors d’une vente aux enchères à l’hotel Drouot, en 2018. L’objectif était de publier un fac-similé de ce recueil.
Le manuscrit de 346 pages, a été écrit vers 1740-1750, par Jean Pierre de Villeneuve (1706-1771), dont la Bibliothèque Nationale de France (BnF) possède 2 autres recueils plus tardifs. Les pièces du manuscrit sont extraites des 5 livres de Marin MARAIS (en parties séparées) et sont notées en partition, et comportent de très nombreuses indications d’exécution, non présentes dans les 5 livres imprimés.
La numérisation de ce recueil, a été possible grâce à un accord faisant don du manuscrit à la BnF, en échange de sa numérisation. Le fac-similé du manuscrit, maintenant propriété de la BnF sous la cote Gf. Res. Vma ms.94, a été publié par la Société Française de Viole de Gambe en 9 volumes.
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(conservateur chargé des collections antérieures à 1800, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique)
Le texte suivant est tiré de l’article de Jonathan Dunford et François-Pierre Goy, « The Villeneuve manuscripts : a new approach to Marin Marais », The Viola da gamba society Journal, volume 14 (2020), p. 23-75 <http:// vdgs.org.uk/ journal/Vol-14.pdf>, auquel le lecteur est invité à se reporter pour les références bibliographiques et archivistiques.
Description
Le manuscrit Gf. Rés. Vma ms. 94 comporte 346 pages, précédées d’un feuillet non numéroté portant le titre et suivies de quatre pages de table du contenu puis d’une page d’Explication des Caracteres dont on s’est servi pour marquer les Agrémens, à nouveau non numérotées. De part et d’autre du corps de l’ouvrage se trouve un feuillet de garde vierge. Le feuillet comprenant les p. 347 et 348 a disparu, laissant la dernière pièce incomplète. Les dimensions (42,5 x 28,5 cm hors reliure, 43,5 x 30 cm avec la reliure), inhabituelles pour un recueil français de pièces de viole, correspondent à peu près à celles du manuscrit contenant les Concerts à deux violes esgales de Sainte-Colombe et des extraits d’opéras de Lully (BnF, Musique, Rés. Vma ms. 866). Le choix d’une reliure en maroquin rouge plutôt qu’en basane ou en veau, ainsi que les contre-plats couverts de tabis et les tranches dorées, témoignent du prix attaché au volume. Les plats portent une double rangée de décor à la roulette avec des motifs d’inspiration végétale. Au dos, cinq des compartiments sont décorés de fleurons, tandis que les deux autres portent chacun une pièce de titre : RECUEIL / DES PLUS / BELL PIECES / DE VIOLE et DE Mr / MARAIS.
Le papier porte d’un côté de la feuille in-plano la marque au raisin surmontant les initiales P♡C dans un cartouche, de l’autre la marque HJ♧CVSSON. Cette dernière appartenait à l’origine à Hiérosme Cusson (1631?-1693) et à son frère Jean (1651?-1693), deux membres d’une dynastie de papetiers active à Thiers (Puy-de-Dôme) des années 1630 au XIXe siècle, mais elle fut également utilisée par leurs descen¬dants jusque vers 1750. De fait, Raymond Gaudriault a relevé son association avec le monogramme P♡C dans un document d’archives daté de 1738. On peut donc identifier le papetier comme un des Pierre Cusson actifs dans le deuxième quart du XVIIIe siècle. Le papier a sans doute été fabriqué avant 1742, car il ne comporte pas la mention AVVERGNE 1742, obligatoire pour les papetiers auvergnats à partir de cette date ; cela ne préjuge naturellement pas de la date d’utilisation. Les pages contenant la musique ont été réglées à 12 portées par page à l’aide d’une patte à régler. Chaque portée, séparée de la suivante par un intervalle de 15 mm, mesure 13 x 221 mm. En revanche, les marges latérales varient légèrement d’une page à l’autre.
Le copiste : Jean-Pierre de Villeneuve
Le titre Recueil / des plus belles Pieces / de Viole / de M Marais / avec les Agrémens, la musique et la table sont tous calligraphiés très soigneuse-ment d’une même main. Une comparaison avec d’autres manuscrits de viole conservés à la BnF a rapidement permis de mettre un nom sur l’auteur anonyme de cette magnifique copie.
Il s’agit de Jean-Pierre Guignace de Villeneuve (1706-1771), dont le département de la Musique de la BnF possède deux autres recueils de dimensions beaucoup plus modestes connus depuis longtemps. L’un contient 205 pièces de Marais arrangées pour pardessus de viole et basse, en parties séparées, dont seule celle du pardessus de viole est conservée (Pieces de viole / Ajustées pour le Pardessus / de Viole a cinq cordes / Par M’ de Villeneuve / 1759, coté Vm7 6275). L’autre consiste en une copie complète en partition, pour deux pardessus de viole et basse continue, des opus 1 à 4 de Corelli, des pièces à trois violes du Livre IV de Marais et de celles à deux violes de son Livre I (Trio de Corelli /Et / Pieces de Marais / a deux et trois Violes. / En Partition / 1762, coté Vm7 1107). Il faut y ajouter un exemplaire de la partie de viole du Livre V des Pièces de viole de Marais, coté Rés. 764 et portant un « Ex-libris Joannis Petri de Villeneuve » armorié, mais aucune autre annotation. Hazelle Miloradovitch avait déjà étudié ces trois volumes dans un article paru en 1985, sans toutefois parvenir à identifier plus précisément Villeneuve (1).
Issu d’une famille d’origine orléanaise, Jean-Pierre Guignace de Villeneuve fut baptisé à Paris le 8 novembre 1706. Avant d’avoir atteint la majorité légale (25 ans à l’époque), il acheta un office de conseiller au Grand Conseil dont il fut pourvu le 18 février 1729 et fut ensuite anobli. Il était également avocat au Parlement. Le 18 novembre 1737, il épousa Anne Le Maistre, dame de Villoiseau, qui lui apporta entre autres en dot le château de Villoiseau à Chevillon-sur-Huillard (Loiret). Elle mourut le 8 juillet 1753, laissant sept enfants encore mineurs, et des inventaires des biens de la communauté matrimoniale furent réalisés du 22 août au 3 octobre 1753 pour leur domicile parisien de la rue des Fossés-Saint-Victor et le 17 et 18 septembre de la même année pour le château de Villoiseau. L’inventaire de la maison de Paris mentionne, « dans un autre petit cabinet ayant vue sur la cour », « quatre violles, deux dessus de violles et deux pardessus de violle dans leurs étuis prisés le tout ensemble cent cinquante livres» et, « entre autres «livres trouvés dans le cabinet dudit sieur de Villeneuve », «vingt cinq volumes in folio de musique dont Atys prisés cinquante livres » et « neuf volumes in quarto oblongs dont Pièces de Marais manuscrites prisés soixante livres ». À Villoiseau, Villeneuve y conservait dans son cabinet donnant sur la cour « deux violes, chacune dans son étuy de bois de sapin noirci », qui furent prisées ensemble 32 livres.
En raison de désaccords politiques, Villeneuve démissionna du Parlement en avril 1771 et se retira à Villoiseau, où il mourut le 7 septembre de la même année. Il fut inhumé le lendemain dans le cimetière de Chevillon. Ses livres furent vendus aux enchères à Paris du 7 au 10 janvier 1772. Dans le catalogue de vente, qui paraît refléter la disposition des volumes dans la bibliothèque du défunt, la description très sommaire du seul lot concernant la musique – «Livres de musique, pour la viole, &c. », que son acquéreur inconnu emporta pour la somme de 12 livres — ne permet pas de savoir combien de volumes possédait Villeneuve, ni si les trois manuscrits aujourd’hui connus en faisaient partie. Cependant, ces livres de musique devaient être rangés en bout d’étagère, à la suite d’un groupe d’épais ouvrages de droit in-folio, un emplacement parfaitement approprié au manuscrit Gf. Res. Vma ms. 94, mais moins aux autres, de dimensions nettement plus réduites.
Armand Joseph Delaistre
Au verso de la page de titre figure, d’une autre encre et d’une autre main que le reste du contenu, la mention manuscrite « Ex Libris / Armandi Josephi / Delaistre ». Armand Joseph Delaistre, né à Paris le 10 janvier 1726, est qualifié de « chevalier, comte de Fontenay, seigneur de Chamgoubert et autres lieux, conseiller du Roi en tous ses conseils et secrétaire ordinaire du Conseil d’État » lorsqu’il épouse Jeanne Armande Éléonore Chasteigner à Bonnes (Vienne) le 15 octobre 1770. Placé en résidence surveillée à Montargis après la journée du 10 août 1792, il échappa cependant à la guillotine et mourut à Poitiers le 16 floréal an IX (6 mai 1801). Sa veuve décéda dans la même ville le 7 pluviôse an XI (27 janvier 1803).
Rien de permet à l’heure actuelle de savoir si Villeneuve et Delaistre se connaissaient personnellement, ni de déterminer quand et comment ce dernier entra en possession du manuscrit copié par son aîné, ainsi que d’un exemplaire du Livre II (1701) des Pièces de viole de Marin Marais, aujourd’hui conservé à la Sibley Music Library de l’université de Rochester (N.Y.) sous la cote M286 .M299.2 et dont 27 pièces (sur les 142 du livre) comportent des indications d’exécution manuscrites dont il sera question plus loin.
Contenu
Aucune des 346 pages du volume n’est restée inutilisée, même si Villeneuve a parfois laissé quelques systèmes vides en bas de page après la fin d’une pièce. Le manuscrit contient 205 pièces de Marin Marais, dont seulement 62 se retrouvent parmi les 205 arrangements pour pardessus de viole de Vm7 6275. Elles sont ici notées en partition, alors que le compositeur les publiait exclusivement en parties séparées. Mais il ne s’agit pas d’une simple mise en partition d’extraits des livres gravés.
Comme dans ceux-ci, les pièces sont groupées par tons. Le terme « Suite » n’apparaît pas, mais pour les tonalités les mieux représentées, la table distingue à l’aide d’une ligne horizontale deux séries de pièces, dont la seconde commence généralement par un prélude. D’après cette division, le manuscrit contient vingt « suites », qui associent le plus souvent des pièces tirées de plusieurs livres et donc parfois composées à près de quarante ans de distance. Seules les suites III en mi bémol majeur et XIII en si bémol majeur, tonalités assez rares chez Marais, sont constituées de pièces extraites d’un même livre. En revanche, le contenu des suites IX en ré mineur et XIX en la majeur provient des cinq livres. Quatre des pièces n’ont jamais été publiées, et dans trois d’entre elles la partie de basse est laissée en blanc. L’omission des chiffrages à la partie de basse suggère une exécution à deux violes seules, hypothèse renforcée par la présence exclusive de violes dans les deux résidences de Villeneuve.
Quelques éléments (filigrane, orthographe, désignation des tonalités) incitent à placer Gf. Rés. Vma ms. 94 plus tôt que les manuscrits pour pardessus de viole du même copiste (1759 et 1762) et à le dater plutôt des années 1740 ou du début des années 1750.
Les indications d’interprétation
Villeneuve a très abondamment pourvu les pièces de Marais d’indications d’exécution qui font la singularité de ce manuscrit. En plus des termes et des signes utilisés par Marais et à sa suite par la plupart des autres violistes français, il en introduit de nouveaux, qu’il emploie seuls ou combinés entre eux et dont il définit les principaux dans une « Explication » en fin de volume. Malgré la précision de leur notation et de leur placement, ces indications se révèlent parfois énigmatiques quant à leur signification exacte, laissant à l’exécutant actuel le soin de résoudre les ambiguïtés occasionnelles.
Dans l’exemplaire déjà cité du Livre II de Marais conservé à Rochester et ayant appartenu à Armand Joseph Delaistre, une main non identifiée – l’écriture ne semble pas être celle de Delaistre et encore moins celle de Villeneuve – a ajouté à 27 pièces des indications d’interprétation qui rappellent celles du recueil de Villeneuve, avec lesquelles elles ont certains signes en commun. Toutes les pièces annotées se retrouvent dans le manuscrit Gf. Rés. Vma ms. 94, mais avec une agrémentation différente.
Dans ses arrangements pour pardessus de viole (Vm7 6275), au contraire, Villeneuve utilise seulement les signes de Marais, tout en prenant là aussi certaines libertés avec les originaux.
Place de Villeneuve et de ses manuscrits dans l’histoire de la viole
Né cinquante ans après Marin Marais et contemporain à quelques années près de violistes professionnels comme Jean-Baptiste Forqueray (1699-1782) ou Charles Dollé (1700-1789), le riche amateur Jean-Pierre de Villeneuve a vécu le déclin de la basse de viole, pour laquelle plus rien n’est publié après le Livre V de Louis de Caix d’Hervelois en 1748, et son remplacement par le pardessus de viole dans la faveur du public, même si elle reste pratiquée par quelques passionnés. Malgré les «mépris affectés » face aux sonates italiennes qu’Hubert Le Blanc prête à Marin Marais, champion des « pièces » à la française, cette évolution s’accompagne d’une acceptation croissante de la musique italienne par les violistes français qui, tel Forqueray, jouent à la viole des sonates italiennes pour violon ou même en composent -Caix d’Hervelois pour la basse, puis d’autres pour le pardessus. Les trois manuscrits de Villeneuve, dont la copie s’étale sur une dizaine ou une vingtaine d’années et dans lesquels il a noté, d’abord pour la basse puis pour le pardessus, non moins de 362 pièces de Marais mais aussi, dans le plus tardif, les 48 sonates en trio de Corelli, réunissent ainsi les oeuvres du plus éminent représentant de chaque école et nous révèlent leur copiste comme un violiste fort compétent dont l’attachement à la tradition de son instrument ne se traduit pas par un respect figé mais par l’adaptation aux tendances nouvelles de son temps.
Le manuscrit reproduit ici a été acquis par la Société Française de Viole de Gambe (SF VdG) le 4 avril 2018 à Paris, lors de la vente Oger-Blanchet à l’Hôtel Drouot, dont il constituait le lot 206. Cet achat a été possible grâce à une opération de financement participatif et de mécénat. Afin d’assurer dans les meilleures conditions la conservation et la numérisation de ce manuscrit, la SF VdG en a fait don, en janvier 2020, au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France. Il porte désormais la cote Gf. Rés.Vma ms.94, rejoignant ainsi un autre manuscrit de pièces de Marin Marais que l’on suppose aussi de la même main, celle du copiste De Villeneuve (cf. article de F.P. Goy à la fin du cahier IX).
D’une perfection d’écriture rare, ce manuscrit, non daté mais largement postérieur à sa mort, contient les plus belles pièces de viole de Marais, un best of dirait-on aujourd’hui, qui nous renseigne sur le goût et les préférences d’un amateur éclairé à l’époque de Louis XV. Regroupées par tonalité, ces suites sont mises en partition, ce qui, par rapport aux éditions imprimées en parties séparées, facilite grandement le jeu d’ensemble et le travail des accompagnateurs, auxquels il incombera toutefois d’en reporter les chiffrages. Mais son intérêt majeur tient surtout au fait qu’il comporte une multitude d’indications de phrasé et d’ornementations inconnues jusqu’ici.
Même si l’on peut arguer qu’il n’est pas directement de la main de Marais, ce volume pourrait provenir d’un héritage proche, fils ou élève. Il constitue une incroyable mine d’informations sur la technique de jeu et l’enseignement de la viole de gambe en France à cette époque. S’agissant d’un instrument dont la tradition a été irrémédiablement interrompue, et qui n’a été remis à l’honneur qu’au cours du XXe siècle grâce aux recherches par recoupements, spéculations et intuitions de quelques excellents violistes, ce manuscrit constitue une source plausible supplémentaire qui va donner un nouvel essor à l’interprétation de ce répertoire central.
C’est pourquoi, et afin de satisfaire les inconditionnels du papier, dont j’avoue faire partie, le bureau de la SF VdG a décidé d’en éditer un fac-similé selon le parti pris présenté ci-après.
. Pour faciliter le transport ainsi que la lecture sur un pupitre, ce livre de 364 pages musicales a été divisé en IX cahiers, qui suivent la succession des suites et la pagination originale.
. Les marges des pages ont été légèrement réduites afin de ne pas dépasser un format raisonnable (B4), mais les portées, notes et indications respectent bien les dimensions de l’original.
. La fragilité de la reliure et des coutures ne permettant pas l’ouverture du livre à plat durant sa numérisation, les pages ont été recadrées, laissant néanmoins subsister sur les cahiers centraux une légère déformation en fin de portées sur les pages de gauche et au début des portées pour celles de droite.
. Dans la mesure du possible, la plupart des nombreuses transparences d’encre ont été nettoyées.
. La dernière page de la Chaconne finale a été à un certain moment déchirée – probablement pour faire disparaître un nom de propriétaire ou un cachet de bibliothèque – nous privant ainsi de quelques indications manuscrites éventuelles. Les 23 mesures manquantes sont restituées d’après l’édition de 1711 (IIIe Livre) et dans une calligraphie proche de celle du copiste, préférable à notre avis à une saisie moderne.
. La table des Caractères et Agréments a été placée sur les pages blanches disponibles de différents cahiers, mais il faut toutefois remarquer que de nombreuses indications de jeu n’y figurent pas. A chaque violiste donc d’en faire la découverte au fur et à mesure de la lecture et de proposer sa propre interprétation, en accord bien sûr avec le texte musical et le bon goût.
Christophe Coin, président de la SF VdG
Cette édition est dédiée à la mémoire de Jean-Pierre Batt (1938-2019), fondateur de la SFV et de José Vasquez (1951-2021), qui aurait tant aimé voir la réalisation de ce projet.
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